Exposition « Parties », Galerie du 48, 2015.
R. Bobichon, J. Bonnaud, P. Budet, Ch. Caro, J. Duporté, C. Guillard, É. Labelle, F. Leplaë, M. L’Hours, P. Le Saint, F.-O. Martin, G. Merel, C. Mézières, M. Prates, V. Poisson, I. Sotomayor.
Rassemblant des artistes issus de différentes promotions de l’École Européenne Supérieure d’Art de Bretagne – Site de Quimper, l’exposition « Parties » est née de la volonté de développer un travail in situ et collectif. Les ?uvres présentées par les seize artistes sont le plus souvent le fait de groupe : duo ou trio inédits, collaborations habituelles et fusionnelles, indisciplinées, discrètes ou volontairement libres. N’ayant pour la plupart jamais travaillé ensemble, les artistes déportent hors de leur sphère leurs pratiques, médiums et savoirs-faire. Envisageons la création comme un terrain de jeu collectif, tel est le leitmotiv de cette exposition. Pensons la relation de l’individu au collectif, l’enrichissement inter-individus duquel peut naître une multitudes de propositions mêlant les genres, médiums et identités.
Invité de dernière minute, Julien Duporté, le rennais n’étant pas passé par l’école de Quimper, investis l’espace de la galerie, des vitres au sol, en passant par les murs. Avec ses Pavés de bonnes intentions, il vient de ses touches colorées et bienveillantes encourager ces différents essais de travail collectif. De cette aventure, menées par des artistes expérimentant de nouvelles collaborations, ou par certains habitués à cheminer ensemble, émerge des ?uvres dont l’unité ne dévoile pas le nombre d’individualités qui y ont participé. Posées, superposées contre le mur, des planches de bois peintes à l’acrylique et à l’encre forme l’installation Doreen can’t get rid of the alligator de Julie Bonnaud et Fabien Leplaë. Travaillant en binôme, les deux artistes glanent des images afin de constituer une banque de donnée dans laquelle ils piochent pour concevoir leurs ?uvres. A l’aide d’une machine à dessiner, ils jouent sur la duplication de dessins, sur la frontière entre production mécanique et réalisation à la main, entre original et copie. Accrochées au murs à différents emplacements de la pièce, les toiles de Romain Bobichon, Fabien Leplaë et Frank-Olivier Martin donnent une nouvelle dimension à la peinture : celle de couches successives de singularités. Commencées par l’un d’entre eux et restant inachevées dans leurs ateliers, ces peintures ont été échangées, retravaillées pour former un ensemble de séquences d’une collaboration libre. Cette idée est reprise dans l’ensemble de toiles de Romain Bobichon, Marie L’Hours et Manoëla Prates. Sur des châssis de grandes dimensions, attachés les uns aux autres à l’aide de charnières, sont tirés divers tissus que les artistes ont peint ou décoloré. Posé au sol, formant une sorte de paravent, cet objet révèle son potentiel. Les toiles, jouant de l’opacité et de la transparence interrogent sur sa fonctionnalité : cacher, dévoiler. Dispositif d’une performance à venir ?
Si certaines oeuvres sont produites en solitaire, elles sont toutefois pensées pour l’exposition. Deux pylônes de Camille Guillard sont posés au mur. Ayant l’aspect du marbre, ceux-ci sont réalisés en béton fait main et par petite quantité. Leur élaboration relève d’un engagement physique de l’artiste et leur allure produite par le moulage de tôles ondulées et de pigments ajoutés offre à ces colonnes un attrait particulier. Dans l’impossibilité de s’élever, isolées, elles s’offrent au spectateur sans détour.
Au sol, une sculpture de cerbère de Vincent Poisson semble dans son élément. Paisible, ce chien à trois tête est loin de son rôle de gardien mythique. Sa réalisation au pistolet à colle lui confère une apparence de cire jaunie par le temps. Là, gardant les ?uvres sans leur prêter attention, il paraît prisonnier d’une autre temporalité.
Le corps, la matière et la vie. Les pieuvres en latex bleues et oranges qui pendent au plafond traitent également de ces thèmes universels. Les Leurres ! d’Elsa Labelle participent à son travail autour de la complexité du corps, ses formes internes et externes, leurs interactions formelles. A la recherche de l’endroit où se mêlent attrait et dégoût, les formes hybrides qu’elles présentent acquièrent un statut décoratif.
L’emprunt comme forme du collectif est honoré dans les oeuvres de Coralie Mézière et de Pierre Budet. La Peinture sur socle en plâtre et pigments, de Coralie Mézière reprend les caractéristiques d’une peinture de Romain Bobichon. Tout en poursuivant ses propres recherches autour du socle et des codes de l’histoire de l’art, elle offre à ce tableau une nouvelle dimension. C’est également ce que fait Pierre Budet en reprenant un dessin de Charlotte Caro dans une pyrogravure sur une table en bois. Posée au sol à la verticale, cette oeuvre exhibe frontalement leurs pratiques respectives interrogeant les figures de domination, les symboles occidentaux et violents. Au fond de l’espace de la galerie, l’oeuvre Droit dans le mur de Gwenn Mérel et Pierre le Saint est un parfait exemple d’une association fragile et exigeante, répondant au poncif de l’oscillation entre force commune anonyme et distinction individuelle.
Fidèle à ses références médiévales et enfantines, Pierre le Saint érige une tour de siège. Support du vidéoprojecteur diffusant la vidéo de Gwenn Mérel, il est défend le mur des points lumineux qui l’attaquent. Le presque rien. En filmant des grains de poivre grillant sur une plaque électrique, Gwenn Mérel donne à voir de fragiles phénomènes quotidiens, des électrons libres qui acquièrent un statut poétique.
Enfin, Ismérie Sotomayor poursuit ces recherches collectives en donnant cohérence à l’ensemble, dans un projet d’édition considéré comme une fiction-documentaire. S’inspirant d’une méthode ethnologique, elle s’intéresse aux différentes propositions formelles des artistes à la manière d’une étude de rites, de territoires et d’identités.
Ces différentes manières de faire le collectif touchent à de nouvelles formes de complicité. Par la transgression des genres, le désir d’expérimenter et d’éprouver l’autre, les artistes participent à l’abandon du mythe de l’originalité. En déclenchant une situation d’apprentissage de l’autre, ils atteignent le partage, celui qui divise et répartit le commun.
Doriane Spiteri