Exposition de Damien Marchal et Maud Le Pladec au Musée de la danse, Unidivers, 2017.
Depuis le 18 avril 2017, de mystérieux numéros de téléphone sont visibles dans les rues de Rennes ! Peut-être les avez-vous vus sur une affiche dans la rue ou par hasard dans une annonce en feuilletant un journal…
Il s’agit d’une invitation du Musée de la danse à la chorégraphe Maud Le Pladecde rendre compte de Fous de danse 2016, événement qui avait regroupé des milliers de personnes sur l’Esplanade Charles de Gaulle à Rennes (voir notre article). Comment restituer ce moment de regroupement dans l’espace public, ces corps, gestes et danses qui expriment leurs singularités et disent leur joie ?
Maud Le Pladec a proposé à cinq personnes de se promener avec un micro parmi les gens au cours de la journée pour garder une trace de ces danses, pour donner leurs impressions, sensations et analyses.
Un philosophe, une enfant, une réalisatrice, un écrivain, une chorégraphe et audio-descriptrice : ces cinq voix ont la tâche de poser une parole, de produire une trace de cet événement éphémère. À partir de cette matière philosophique, poétique, descriptive ou intuitive, l’artiste Damien Marchal a conçu une installation pour diffuser ces messages de danse.
Afin d’activer ces différents enregistrements et les diffuser au public, Damien Marchal a imaginé une dissémination de ces messages dans l’espace public. Des numéros de téléphone sont ainsi parsemés dans la ville sur différents supports dans des dégradés de rose. Ces numéros se fondent dans l’environnement sur des supports imprimés, sur des écrans ou des petites annonces.
Il suffit de sortir son téléphone et de taper l’un des 80 numéros. Le téléphone sonne puis, au lieu du message vocal habituel, émet la voix de l’un des cinq invités.
Parvient un message de Miguel Abensour, de Valérie Castan, de Valérie Donzelli, de Pierre Ducrozet ou d’Atika Heit. Nous distinguons la foule, des extraits de musique, des personnes qui parlent. La personne au bout du fil parle de ses sensations, de ce qu’elle voit, de ce qu’elle entend. On est comme transposé dans un autre espace-temps : « La danse à travers la ville, c’est-à-dire qu’on n’est pas loin de la marche, on n’est pas très loin de voir juste des passants comme ça, c’est-à-dire qu’il y a un mélange entre les gens qui dansent et les gens qui marchent, entre les gens qui font partie de cette expérience de la danse dans la ville et puis ceux qui sont juste là, à ce moment-là. », nous confie Valérie Donzelli dans son micro. Ces 80 témoignages sonores d’une durée de 13 secondes à 2 min13 sont à découvrir 24h/24 et 7 j/7. À la fin de chaque message, un renvoi est fait sur le site Internet du Musée de la danse, une invitation à se rendre dans l’exposition pour y découvrir l’installation de Damien Marchal.
Au Musée de la danse, l’ensemble des 80 numéros est regroupé sur 5 affiches correspondant à chacun des invités. Ils sont également présents sur différents supports à emporter : cartes de visites, cartes postales, badges… À nous de les essaimer dans l’espace public pour que d’autres accèdent à ces messages. Sur un mur, les 80 téléphones sont installés les uns au-dessus des autres formant une sorte de tableau géométrique. Certains se mettent à vibrer de manière aléatoire.
Attendre que l’un d’entre eux s’éclaire et vibre et imaginer une personne à Rennes ou ailleurs qui découvre, depuis son téléphone, une histoire de la danse. Chacun est libre de réagir au message qui lui parvient en en laissant un après le bip sonore. On peut d’ailleurs observer au Musée de la danse que de nombreux messages ont été laissés. Pour Damien Marchal, il y a en effet une tentative d’entrer en contact avec l’autre : « Cela me plaît que des messages soient laissés, il est facile de pouvoir les lire, car certains sont des textos, il est également facile de pouvoir les écouter, car il suffit d’activer la messagerie. J’aime beaucoup l’idée que cela me dépasse. »
Développant une pratique artistique au travers de recherches liées aux domaines sonores, Damien Marchal a toujours dans son travail cette volonté d’inclure le spectateur dans l’œuvre, de lui faire activer l’œuvre par sa réaction. Dans son œuvre Garbage Truck Bomb présentée à La Criée en 2010 à l’occasion de la Biennale de Rennes, il avait réalisé une installation dans laquelle le visiteur pouvait à l’aide d’une borne interactive déposer ses coordonnées téléphoniques lui permettant de recevoir de manière aléatoire le numéro de téléphone d’un détonateur. Lorsque cette personne appelait, elle déclenchait une déflagration sonore et violente au sein de l’exposition.
À Bournemouth en 2013, il a également réalisé le projet Border of the future, une performance sur trente ans pour laquelle six voix imaginent l’avenir : une géographe, un généticien, une journaliste, une codeuse, un écrivain et un poète. Chaque voix est enregistrée sur une messagerie vocale et les numéros sont gravés dans l’écorce de six arbres plantés en hexagone. Pendant trente ans, l’écorce des arbres évolue et les chiffres se déforment : « Les messages seront dans trente ans complètement en décalage entre l’époque où ils ont été écrits (2013) et l’époque où ils se situent (2043). Le projet que nous réalisons avec Maud Le Pladec rejoue ce dispositif, mais se situe sur d’autres types de réflexion autour d’un autre médium, le corps. »
Il y a toujours cette notion de passage à l’acte, d’une action produite par le spectateur par le biais de son téléphone mobile. L’individu décide alors de sa position face à l’œuvre. Le travail chorégraphique de Maud Le Pladec a ceci de semblable par sa volonté de créer une expérience démocratique. Dans sa pièce intitulée Democracy elle questionne la démocratie insurgente en puisant dans les recherches du philosophe Miguel Abensour. Ces deux artistes développent une réflexion sur les modes d’être ensemble.
Quand l’exposition sera terminée, des personnes continueront à téléphoner et à recevoir ces paroles de danses. Damien Marchal trouve agréable que l’œuvre puisse devenir une sorte de fantôme : « Dans cette exposition, il y a une succession de temps : d’abord l’action Fous de danse 2016 puis, les paroles, leurs enregistrements, l’exposition, la diffusion dans la ville, la disparition de l’exposition et la continuité des appels. Le spectateur dépasse notre pensée, il s’approprie le projet et lui donne une autre vie. »
Doriane Spiteri