Exposition « Translation/Transposition/Transcription » du collectif Haus Terre, Galerie Speedy Grandma, Bangkok, Thaïland, 2015.
Faut-il parler la même langue pour se comprendre ?
Examinant l’acte de traduire inhérent à tout déplacement géographique ou discursif, cette exposition présente des œuvres qui chacune résultent de traductions physiques ou numériques. Faisant de la traduction un dispositif de création, les œuvres présentées témoignent de transformations qui rendent sensibles les liens qu’entretiennent une pensée à une langue. En considérant Internet et ses outils, non plus seulement comme de simples vecteurs de contenus mais comme de véritables langages porteurs d’une vision du monde, les quatre artistes qui composent cette plateforme questionnent chacun à leur manière la mémoire, le passage, la géographie, le virtuel et la collectivité.
Avec sa RWBWR company, Mélanie Villemot s’intéresse à la transposition du contenu au contenant. Cette start-up qu’elle a créée, tirant son nom des couleurs des drapeaux thaïlandais et français, ne vend aucun produit, ni service. Elle propose simplement une image, une sensation de bien-être.
L’artiste mène ainsi des expérimentations sur le langage, mêlant les codes issus de la publicité à ceux de l’entreprise en ligne et de l’art contemporain. Ponctuellement lors d’expositions, cette compagnie se concrétise dans le monde physique, immergeant le spectateur dans un monde de surface. Si toute publicité est un double message, c’est parce qu’elle réintroduit le rêve et qu’elle a le pouvoir de relier son lecteur à une quantité de mondes possibles. En touchant le produit – une sensation de plénitude – par le langage publicitaire, elle lui donne du sens, le transforme en expérience de l’esprit.
Une transposition du réel au virtuel, du virtuel au réel. C’est ce que propose Samy El Ghassasy avec son installation Clou de Voirie Google, constituée de sept dessins et d’un clou de voirie gravé du G de google, enfoncé dans un socle. Ce clou vient d’un autre temps, celui d’avant la géolocalisation satellite, lorsque pour se repérer, l’on s’aider d’éléments naturels ou de balises. En transposant les coordonnées géographiques de Bangkok de google earth à l’espace physique et en mettant en scène ce clou de voirie dans une bande dessinée afin d’illustrer sa présence dans l’espace d’exposition, l’artiste touche à cette quête obsessionnelle de l’homme de se situer dans l’espace.
L’oeuvre Liquid Stone de Robin Garnier Wenisch renvoi à la poétique de la bouteille à la mer. Ses moulages de bouteilles d’eau minérale en béton durci à la congélation, se transforment au fil du temps en des objets friables. Tout en interrogeant les qualités inhérentes au béton, l’artiste touche à l’idée d’un message sans destinataire précis, n’ayant aucune assurance d’être lu. Le médium et l’impossibilité de contrôler sa forme, concrétisent le message. L’artiste devient passeur, pas de mots ni de sens mais d’une mémoire incertaine. Il est l’intermédiaire d’un échange, celui de l’ouverture d’un texte.
Avec sa série de dessins intitulée Chronographies, Guillaume Coutances interroge ce rapport à la mémoire. Si le dessin traduit souvent des questions spatiales, l’artiste souhaite dans cette œuvre lui faire dire le temps. Chacun des dessins représente une heure pour l’artiste. Chaque forme est une tentative pour figer et matérialiser l’intangible. On y discerne des strates géographiques ou des cernes des arbres, telles les couches successives de la mémoire du geste de l’artiste.
Ces dessins prennent finalement la forme d’une calligraphie, d’un alphabet inconnu, prenant sens dans le regard du spectateur et disparaissant aussitôt.
Cette exposition propose une juxtaposition de récits, une unité au sein de multiplicités. Si chacun des artistes propose des visions différentes du passage, c’est parce que la traduction est toujours un transport, une interprétation. Elle est un rapport à l’altérité.
Doriane Spiteri